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F.3 Pourquoi les "anarcho"-capitalistes n'attribuent-ils généralement peu ou pas de valeur à l'"égalité" ?

Sommaire

Murray Rothbard fait valoir que "le libertarien n'est pas opposé à l'inégalité"[1]. En revanche, les libertaires s'opposent à l'inégalité parce qu'elle a des effets nocifs sur la liberté individuelle. Une partie de la raison de l'"anarcho"-capitalisme à placer peu ou pas de valeur à «l'égalité» découle de leur définition de ce terme. "A et B sont « Ã©gaux Â»", fait valoir Rothbard, "si elles sont identiques les uns aux autres par rapport à un attribut... Il y a une et une seule sorte, dans lequel deux personnes peuvent vraiment être à "égalité" dans le sens le plus large : ils doivent être identiques dans tous leurs attributs". Il a ensuite souligné le fait évident que "les hommes ne sont pas uniformes... L'espèce, l'humanité, est particulièrement caractérisée par un degré élevé de variété, de diversité, de la différenciation : en bref, d'inégalité"[2].

En d'autres termes, chaque individu est unique - ce qu'aucun égalitaire n'a jamais nié. Sur la base de cette idée étonnante, il conclut que l'égalité est impossible (à l'exception de "l'égalité des droits") et que la tentative de réaliser "l'égalité" est une "révolte contre la nature". L'utilité du sophisme de Rothbard pour les riches et les puissants devrait être évident car ça déplace l'analyse du système social dans lequel nous vivons sur des différences biologiques. Cela signifie que parce que nous sommes tous uniques, le résultat de nos actions ne seront pas identiques et que les inégalités sociales sont des flux naturels des différences et non pas en raison du système économique dans lequel nous vivons. L'inégalité de départ, dans cette perspective, suppose l'inégalité des résultats et l'inégalité sociale. Comme les différences individuelles sont un fait de la nature, les tentatives visant à créer une société fondée sur "l'égalité" (c'est-à-dire de tous identiques en termes de propriété et ainsi de suite) est impossible et "contre nature". Cela devrait aller sans dire, c'est de la musique pour les oreilles des riches.

Avant de continuer, nous devons noter que Rothbard est en train de détruire la langue pour faire son point et qu'il n'est pas le premier à abuser de la langue dans ce mode particulier. George Orwell, dans 1984, dans l'expression "tous les hommes sont égaux" pourrait être traduit par novlangue, "mais dans la même proportion que la phrase : «tous les hommes sont roux» serait possible en ancilangue. Elle ne contenait pas dÂ’erreur grammaticale, mais exprimait une erreur palpable, à savoir que tous les hommes seraient égaux en taille, en poids et en force"[3]. Il est bon de savoir que "M. libertarien" est le voleur des idées de Big Brother, et pour la même raison: rend impossible la pensée critique en limitant le sens des mots.

«L'égalité», dans le cadre du débat politique, ne signifie pas «identique», ca signifie l'égalité des droits, de respect, de valeur, de pouvoir et ainsi de suite. ca ne signifie pas traiter tout le monde a l'identique (par exemple, attendre d'un homme de quatre vingts ans de faire un travail identique qu'un de dix-huit ans est comme une violation de traiter les deux a pied d'égalité avec respect en tant qu'individus uniques). Inutile de dire, qu'aucun anarchiste n'a jamais préconisé une telle notion de l'égalité comme étant identiques. Comme nous l'avons vu dans la section A.2.5, les anarchistes ont toujours fondé nos arguments sur la nécessité pour l'égalité sociale sur le fait que, si les gens sont tous différents, nous avons tous le même droit d'être libre et que l'inégalité de richesse produit des inégalités de liberté. Pour les anarchistes :

"l'égalité ne signifie pas une quantité égale, mais une opportunité égale... Ne faites pas l'erreur d'identifier l'égalité dans la liberté avec l'égalité forcé du condamné d'un camp. La vraie égalité anarchiste implique la liberté, et non la quantité. Cela ne signifie pas que chacun doive manger, boire, ou porter les mêmes choses, faire le même travail, ou vivre de la même manière. Loin de là : tout le contraire, en fait. Les besoins et les goûts individuels diffèrent, comme les appétits différents. C'est l'égale opportunité pour les satisfaire qui constitue la véritable égalité. Loin de niveller, cette égalité ouvre la porte à une plus grande variété d'activité et de développement. Comme la personnalité humaine est diverse, et seule la répression de cette zone de libre diversité résulte dans le nivellement, l'uniformité et la similitude. L'opportunité et l'action libre pour votre individualité signifie le développement des différences et des variations naturelles... la vie en liberté, en anarchie fera plus de simplement libérer l'homme de sa servitude politique et économique. Ce sera seulement la première étape, le preliminaire d'une véritable existence humaine"[4].

Ainsi, c'est précisément la diversité des individus (leur caractère unique), qui conduit le soutien des anarchistes à l'égalité, et non son déni. Ainsi les anarchistes rejettent la définition novlanguo-Rothbardienne de l'égalité dans sa signification. Il n'y a pas deux personnes identiques et afin d'imposer des "identiques" égalités entre eux reviendrait à les traiter comme inégaux, c'est-à-dire ne pas avoir d'égalité de valeur ou de leur donner le même respect comme il sied à eux en tant qu'êtres humains et aux autres individus uniques.

Alors, que devrions-nous faire de la demande de Rothbard ? Il est tentant de citer Rousseau quand il affirme "qu'il est... Inutile de se demander s'il existe un lien essentiel entre les deux inégalités [sociales et naturelles], car ce serait se demander, en d'autres termes, si ceux qui commandent sont nécessairement mieux que ceux qui obéissent, et si la force du corps ou de l'esprit, de la sagesse, ou de la vertu sont toujours liés à des individus particulier, au prorata de leur pouvoir ou de leur richesse: une question peut-être digne d'être examiné par les esclaves à l'audition de leur maîtres, mais ne sied pas au statut très raisonnable et à des hommes libres à la recherche de la vérité"[5]. Cela semble applicable au moment ou Rothbard proclame que l'inégalité des individus conduit à des inégalités de revenus que comme "chaque homme aura tendance à gagner un revenu égal à sa 'productivité marginale' ". C'est parce que "certains hommes" (et c'est toujours des hommes !) sont "plus intelligents, d'autres plus alerte et visionnaire, que le reste de la population" et le capitalisme "permet la montée de ces aristocraties naturelles". En fait, pour Rothbard, tout gouvernement, dans son essence, est une conspiration contre l'homme supérieur[6]. Mais plus de points méritent d'être soulevés.

Le caractère unique des personnes a toujours existé, mais pour la grande majorité de l'histoire humaine, nous avons vécu dans des sociétés très égalitaires. Si l'inégalité sociale provenait, en effet, des inégalités naturelles alors toutes les sociétés seraient marquées par celle-ci. Ce n'est pas le cas. En effet, en prenant un exemple relativement récent, de nombreux visiteurs du début des États-Unis ont noté son caractère égalitaire, quelque chose qui a changé avec la montée du capitalisme (nous devons ajouter, un changement dépendant de l'action de l'Etat). Cela implique que la société dans laquelle nous vivons (son cadre de droits, les relations sociales qu'elle génère et ainsi de suite) a beaucoup plus d'impact décisif sur l'inégalité que les différences individuelles. Ainsi, certains cadres de droits ont tendance à agrandir des inégalités "naturelles" (en supposant que c'est la source de l'inégalité initiale, plutôt que, disons, la violence et la force). Comme l'affirme Noam Chomsky:

"Vraisemblablement, c'est vrai que dans notre "monde réel" une combinaison d'attributs est propice à la réussite pour répondre à 'des exigences du système économique'. Mettons-nous d'accord, pour le souci du débat, que cette combinaison d'attributs est en partie une question de capacité inné. Pourquoi est-ce que ce (présumé) fait pose un "dilemme intellectuel" aux egalitaires ? Notez que nous pouvons difficilement prétendre beaucoup mieux en tout ce que peut la combinaison d'attributs... On peut supposer qu'un certain mélange d'avarice, d'égoïsme, de manque de souci des autres, d'agressivité, de caractéristiques similaires joue une partie à obtenir la tête et à "faire ça" dans une société compétitive fondée sur les principes capitalistes.... Quelle que soit la perception correcte des attributs existant, on peut se demander ce qui résulte de ce fait, si cela est un fait, que certains aient hérité en partie des combinaisons d'attributs tendant au succè matériel ? Tout ce qui suit... est un commentaire sur nos arrangements sociaux et économiques particuliers... L'égalitaire pourrait répondre, dans tous les cas, que l'ordre social devrait être modifié de telle sorte que la collection d'attributs qui tend à porter le succès ne le fasse plus. Il pourrait même soutenir que dans une société plus décente, les attributs qui maintenant conduisent au succès seraient reconnus comme pathologique, et que la douce persuasion pourrait être un bon moyen d'aider les gens à surmonter leur regrettable maladie"[7]

Donc, si nous changons la société, alors les inégalités sociales que nous voyons aujourd'hui disparaîtraient. Il est plus que probable que la différence naturelle a été depuis longtemps remplacé par les inégalités sociales, en particulier les inégalités de propriété. Et comme nous le soutenons dans la section F.8 ces inégalités de prorpriétés ont d'abord été le résultat de la force, non des différences de capacité. Ainsi, affirmer que l'inégalité sociale découle des différences naturelles est faux car la plupart des inégalités sociales sont volées de par la violence et la force. Cette première inégalité a été amplifiée par le cadre des droits de propriété capitaliste et de par l'inégalité dans le capitalisme qui est beaucoup plus dépendant, par exemple, de l'existence du travail salarié plutôt que des différences "naturelles" entre les individus.

Cela peut être vu de par les sociétés existantes : nous voyons que, dans les lieux de travail et dans de nombreuses industries, si ce n'est la plupart, des individus uniques recoivent des salaires identiques pour un travail identique (bien que ce n'est pas souvent le cas pour les femmes et les Noirs, qui reçoivent moins de salaire que les hommes ou les blancs pour un travail identiques). De même, les capitalistes ont introduit délibérément des inégalités salariales et des hiérarchies sans aucune autre raison que de diviser et règlementer la main-d'Âœuvre (voir la section D.10). Ainsi, si nous supposons que l'égalitarisme est une révolte contre la nature, alors une grande partie de la vie économique capitaliste est dans une telle révolte et quand elle ne l'est pas, les inégalités "naturelles" ont généralement été artificiellement imposée par les pouvoir en place soit dans le lieu de travail ou dans la société dans son ensemble par le biais de l'intervention d'Etat, de lois sur la propriété et de structures sociales autoritaires. En outre, comme nous l'avons indiqué dans la section C.2.5, des anarchistes ont été conscients du caractère collectif de la production dans le capitalisme depuis que Proudhon a écrit "Qu'est-ce que la propriété?" en 1840. Rothbard ne tient pas compte à la fois de la tradition anarchiste et de la réalité quand il souligne que les différences individuelles produisent des résultats inégaux. Comme un économiste avec une ferme saisissant le monde réel a dit, "la notion que les salaires dépendent des compétences personnelles, tel qu'il est exprimé dans la valeur de la production, n'a aucun sens dans une organisation où la production est interdépendante et commune - c'est-à-dire que ça ne fait pas de sens dans presque toute organisation"[8].

Ainsi, les différences "naturelles" ne sont pas forcément une inégalité en tant que tel, ni que faire de telles différences aient plus de sens dans une économie marquée par la production conjointe. Étant donné qu'un autre système social, les différences "naturelles" seraient encouragées et célébrées beaucoup plus largement que ce qu'ils sont sous le capitalisme (où la hiérarchie assure l'écrasement de l'individualité plutôt que son encouragement) sans réduction dans l'égalité sociale. Au niveau le plus fondamental, l'élimination de la hiérarchie au sein de l'entreprise non seulement accroît la liberté, mais aussi réduit les inégalités que quelques uns ne seraient pas en mesure de monopoliser le processus décisionnel et le fruit de l'activité productive conjointe. Ainsi, l'affirmation selon laquelle les différences "naturelles" générent des inégalités sociales est une question mendié à l'extrême - il prend les cadres du droit capitaliste comme une donnée et ignore la première source d'inégalité dans la propriété et le pouvoir. En effet, les résultats de l'inégalité ou des récompenses est plus susceptible d'être influencé par des conditions sociales plutôt que des différences individuelles (comme on pouvait s'y attendre dans une société fondée sur le travail salarié ou d'autres formes d'exploitation).

Rothbard est attaché à dépeindre les egalitaires comme conduit par la jalousie envers les riches. Il est difficile d'évaluer "la jalousie" comme une force motrice concernant Bakounine et Kropotkine qui ont quitté la vie de riches aristocrates pour devenir des anarchistes, et qui ont subis l'emprisonnement dans leurs luttes pour la liberté pour tous plutôt que pour une élite. Lorsque cela est dit, le type réponse de droite est de dire que cela montre que les véritables gens de la classe ouvrière ne sont pas socialistes. En d'autres termes, si vous êtes un anarchiste de la classe ouvrière alors vous êtes animé par la jalousie et sinon, si vous rejetez votre classe, vous montrez que le socialisme n'est pas un mouvement de la classe ouvrière ! Ainsi, par cette hypothèse et la haine pour le socialisme, Rothbard va jusqu'à fausser les mots de Karl Marx pour l'adapter à sa propre position idéologique. Il a déclaré que "Marx reconnaît la vérité de l'accusation d'anti-communiste d'hier et d'aujourd'hui" que le communisme était l'expression de l'envie (jalousie) et une volonté de tout réduire à un niveau commun. Sauf que, bien sûr, Marx n'a rien fait de tel. Dans les passages que Rothbard a présenté comme preuve de ses prétentions, Marx est critique sur ce qu'il a appelé le communisme "brut" ("ce type de communisme" dans le passage cité par Rothbard, mais il ne l'a pas clairement compris) et ce n'est donc pas surprenant, Marx "n'a clairement pas insisté sur ce côté obscur de la révolution communiste dans ces écrits plus tard" comme il a explicitement rejeté ce type de communisme! Pour Rothbard, tous les types de socialisme semblent être identiques et identifiés par la planification centrale - d'où son étrange commentaire que "Staline a établi le socialisme en Union soviétique"[9].

Une autre raison du manque de préoccupation des "anarcho"-capitalistes pour l'égalité, c'est qu'ils pensent que (pour utiliser l'expression de Robert Nozick) "la liberté bouleverse les modes". Il fait valoir que l'égalité (ou de tout "principe de justice établi") ne peut pas être "continuellement réalisé sans interférence avec la vie des gens", c'est-à-dire ne peut être maintenu qu'en restreignant la liberté individuelle pour faire des échanges ou par l'imposition de revenus[10]. Cependant, ce que cet argument ne parvient pas à reconnaître est que l'inégalité restreint également la liberté individuelle et que le cadre des droits de propriété capitaliste n'est pas la seule possible. Après tout, l'argent, c'est le pouvoir et les inégalités en termes de pouvoir se traduisent facilement par des restrictions de liberté et par la transformation de la majorité en preneurs d'ordre plutôt qu'en producteurs libres. En d'autres termes, une fois qu'un certain niveau d'inégalité est atteint, la propriété ne fait pas la promotion, en fait en conflit avec, des fins qui rendent légitime la propriété privée. Comme nous le faisons valoir dans la section suivante, l'inégalité peut facilement aboutir à la situation où l'auto-propriété est utilisé pour justifier sa propre négation et les droits de propriété sans restriction atteignent à une véritable auto-détermination pour de nombreuses personnes qui comprennent intuitivement le terme d'"auto-propriété "(C'est-à-dire, ce que les anarchistes appelerait "liberté" plutôt qu'auto-propriété). Ainsi la propriété privée elle-même conduit à une interférence avec la vie des gens, de même que l'application de la "juste" répartition de la propriété de Nozick et du pouvoir qui découle de cette inégalité. En outre, comme de nombreux critiques ont notés, l'argument de Nozick assume ce qu'elle vise à prouver. Comme cela a été noté, tandis que Nozick peut "vouloir défendre les droits de propriété privée capitaliste en insistant pour que celles-ci soient fondées sur les libertés fondamentales" qu'en fait, il "a produit... un argument en faveur de la propriété privée sans restriction en usant de la propriété privée sans restriction, et, par conséquent, il soulève la question a laquelle il essaie de répondre"[11].

Ainsi, en réponse à l'idée que l'égalité ne pouvait être maintenue qu'en interferant continuellement avec la vie des gens, les anarchistes disent que les inégalités produites par les droits de propriété capitaliste s'impliquent aussi en s'ingérant continuellement dans la vie des gens. Après tout, comme Bob Black le note, "il est évident que la source de plus grande expérience directe de contrainte par un adulte ordinaire n'est pas l'État, mais plutôt l'entreprise qui l'emploit [il ou elle]. Votre chef de chantier ou le superviseur vous donnent plus -ou autre- d'ordres en une semaine que la police en une décennie"[12]. Par exemple, un travailleur employé par un capitaliste ne peut pas échanger librement des machines ou des matières premières qu'ils ont utilisés, mais Nozick ne classe pas cette distribution de droits de propriété "restreint" comme portant atteinte à la liberté (ni que l'esclavage salarié restreint la liberté elle-même, bien sûr). Ainsi, il fait valoir que l'égalité consiste à porter atteinte à la liberté, mais il ne tient pas compte du fait que l'inégalité porte également atteinte à la liberté (on discute des effets négatifs de l'inégalité, à la fois au niveau des richesses et du pouvoir, dans la section B.1). Une réorganisation de la société pourrait effectivement réduire les inégalités en éliminant la principale source de ces inégalités (le travail salarié) par l'auto-gestion. Nous n'avons pas le désir de restreindre la liberté des échanges (après tout, la plupart des anarchistes désirent voir l'"économie de don" devenir une réalité plus tôt ou plus tard), mais nous estimons que le libre-échange ne doit pas nécessairement impliquer les droits de propriété capitaliste sans restriction que suppose Nozick (voir la section I.5.12 pour un examen des "actes capitaliste" dans une société anarchiste).

Rothbard, ironiquement, est conscient du fait que l'inégalité limite la liberté pour le plus grand nombre. Comme il l'a dit, "l'inégalité de contrôle" est un "inévitable corollaire de la liberté" dans toute organisation "il y aura toujours une minorité de personnes qui passeront à la position de dirigeants et d'autres qui resteront fidèles comme dans le rang et la file"[13]. Pour reciter Bob Black : "Il y a des gens pour donner des ordres et d'autres pour les respecter : telle est l'essence de la servitude"[14]. Peut-être que si Rothbard avait passé quelque temps dans un lieu de travail plutôt que dans un poste permanent d'universitaire, il aurait pu réaliser que les patrons sont rarement des élites naturelles qu'il pensait qu'elles étaient. Comme le propriétaire d'usine Engels, il était parfaitement ignorant que c'est l'auto-activité de la non-"élite" sur l'atelier (le produit que le patron monopolise) qui observe toute la structure hiérarchique en cours (comme nous le discutons dans la section H.4.4, le travail a gérer - était pour des travailleurs faire exactement ce que le patron ordonne de faire - est une arme dévastatrice dans la lutte des classes). Il semble quelque peu ironique que l'anti-marxiste Rothbard ait recours au même argument qu'Engels afin de réfuter les arguments anarchistes pour la liberté au sein de l'Association ! Il convient également de mentionner que Black a également reconnu, en notant que le "libertarianisme" autant que le marxisme "sont aussi différents que Coke et Pepsi quand il s'agit de consacrer a la société de classes et la source de son pouvoir, dans le travail. Seulement sur l'entreprise de fondation de l'usine, le fascisme et l'oligarchie des bureaux, aux léninistes et aux libertarians osent débattre des perspectives triviales qui les divisent"[15].

Alors, comme Rothbard l'admet, l'inégalité produit un système de classes et des relations sociales autoritaires qui sont enracinées dans la propriété et le contrôle de la propriété privée. Cela produit des zones de conflit au-delà de la liberté, un fait de vie que Rothbard (comme les autres "anarcho"-capitalistes) tiennent à nier et que nous discutons dans la section F.3.2. Ainsi, pour les anarchistes, l'opposition "anarcho"-capitaliste à l'égalité manque son but et est une question extrêmement mendié. Les anarchistes ne souhaitent pas que les gens soient "identique" (ce qui serait impossible et une totale négation de la liberté et de l'égalité), mais que les rapports sociaux entre individus soient égaux en pouvoir. En d'autres termes, ils aspirent à une situation où les gens interagissent ensemble, sans pouvoir ou hiérarchie institutionnalisé et soient influencés les uns les autres "naturellement", au prorata de comment les (individuels) différences entre (sociale) égaux soient applicables dans un contexte donné. Pour citer Michel Bakounine, "la plus grande intelligence ne serait pas égal à une compréhension de l'ensemble. Puis des résultats... La nécessité de la division et de l'association du travail. Je reçois et je donne - telle est la vie humaine. Chacun dirige et est dirigé à son tour. Il n'y a donc pas d'autorité constante et fixe, mais un échange continu d'entraide, temporaire et, par-dessus tout, d'une autorité et d'une subordination volontaire"[16].

Un tel environnement ne peut exister que dans des associations auto-gérées, tandis que le capitalisme (c'est-à-dire le travail salarié) crée des relations très spécifiques et des institutions d'autorité. C'est pour cette raison que les anarchistes sont socialistes. En d'autres termes, les anarchistes soutiennent l'égalité précisément parce que nous reconnaissons que tout le monde est unique. Si nous sommes sérieux au sujet de "l'égalité des droits" ou de "l'égale liberté" alors les conditions doivent alors être telle que les gens puissent jouir de ces droits et et de ces libertés. Si nous supposons que le droit de développer ses capacités au maximum, par exemple, l'inégalité des ressources et ainsi le pouvoir au sein de la société détruit ce droit simplement parce que la plupart des gens n'ont pas les moyens d'exercer librement leurs capacités (ils sont soumis à l'autorité du patron, par exemple, pendant les heures de travail).

Donc, en contraste direct avec l'anarchisme, le "libertarianisme" est peu concerné à propos de toute forme d'égalité, sauf de "l'égalité des droits". Cela les aveuglent aux réalités de la vie, en particulier, l'impact du pouvoir économique et social sur les individus au sein de la société et les rapports sociaux de domination qu'ils créent. Les individus peuvent être en "égalité" devant la loi et en droits, mais ils ne peuvent pas être libre en raison de l'influence des inégalités sociales, des relations qu'elle crée et comment elle affecte le droit et la capacité des opprimés à l'utiliser. De ce fait, tous les anarchistes insistent sur le fait que l'égalité est essentiel pour la liberté, y compris ceux de la tradition anarchiste individualiste que les "anarcho"-capitalistes essaient de co-opter ("Spooner et Godwin insistent sur le fait que l'inégalité corrompt la liberté. Leur anarchisme est dirigé autant contre l'inégalité que contre la tyrannie" et "favorable à l'anarchisme individualiste de Spooner, ils [Rothbard et David Friedman] ne parviennent pas à remarquer ou s'accommoder de ses implications égalitaires"[17].). Sans l'égalité sociale, la liberté individuelle est restreinte de telle sorte qu'elle devient une caricature (essentiellement à limiter la liberté de la majorité à choisir un maître qui les régiront plutôt que d'être libre).

Bien sûr, en définissant "l'égalité" d'une telle manière restrictive, la propre idéologie de Rothbard est prouvé être un non-sens. Comme L.A. Rollins le note, "le Libertarianisme, comme promotion d'une "société libre" dans laquelle les personnes jouissent de l'"égale liberté" et de "l'égalité des droits", est en fait une forme particulière de l'égalitarisme. A ce titre, le Libertarianisme lui-même est une révolte contre la nature. Si les gens , de par leur nature biologique, ne sont pas égaux dans tous les attributs nécessaires à la réalisation et la préservation de leur «liberté» et «droits»... Il n'est pas possible que les gens puissent profiter de "l'égale liberté" ou des "droits égaux". Si une société libre est conçu comme une société d'"égale liberté", alors il n'existe pas une telle chose comme "société libre"[18]. sous le capitalisme, la liberté est une marchandise comme tout le reste. Plus vous avez d'argent, plus grande sera votre liberté. L'«Egale» liberté, dans le sens novlanguo-Rothbardien, ne peut exister ! En ce qui concerne "l'égalité devant la loi", c'est clair qu'un tel espoir est toujours déçu contre les rochers de la richesse et du pouvoir sur le marché. Pour ce qui est des droits, bien sûr, qu'à la fois les riches et les pauvres ont un "droit égal" de dormir sous un pont (en supposant que le propriétaire du pont accepte bien sûr !), Mais le propriétaire du pont et les sans-abri ont des droits différents, et afin qu'ils ne puissent pas être considérés comme ayant "l'égalité des droits" dans le sens novlanguo-Rothbardien. Il va sans dire que les pauvres et les riches n'utiliseront pas "également" le «droit» de dormir sous un pont, quel qu'il soit.

Comme Bob Black l'a fait observer : "Le temps de votre vie est celui que vous pouvez vendre, mais jamais racheter. Murray Rothbard pense que l'égalitarisme est une révolte contre la nature, mais sa journée est de 24 heures, juste comme tout le monde"[19].

En tordant la langue du débat politique, les grandes différences de pouvoir dans la société capitaliste peut être "accusé" non pas sur un système injuste et autoritaire mais sur la "biologie" (nous sommes tous des individus uniques, après tout). Contrairement aux gènes (bien que les corporations de biotechnologie travaillent sur ce sujet, aussi!), La société humaine peut être changé, par les individus qui la composent, afin de refléter les caractéristiques fondamentales que nous partageons tous en commun - notre humanité, notre capacité à penser et à sentir, et notre besoin de liberté.

F.3.1 - Pourquoi la négligence vis-à-vis de l'égalité est-elle si importante ?

Simplement parce une négligence vis-à-vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, la liberté étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique Â» « nÂ’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange[20] Â»

Cependant, le fait est qu'il y a des centres de pouvoir substantiels dans la société (tels que la source du pouvoir hiérarchique et les relations sociales autoritaires) qui n'ont pas de rapport avec l'État. Comme le dit Élisée Reclus, « le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point. Le dollar est le maître des maîtres[21]. Â» La richesse est donc une source de pouvoir, puisque « la chose essentielle Â» en régime capitaliste « est de s'entraîner à poursuivre un gain monétaire, dans le but de commander les autres au moyen de l'omnipotence de l'argent. Notre pouvoir augmente dans la proportion directe de nos ressources économiques[22]. Â» Ainsi la tromperie centrale de l'"anarcho"-capitalisme est la supposition (non-déclarée) que les différents acteurs au sein d'une économie auront un pouvoir égal. Cette supposition a été remarquée par nombres de lecteurs de leurs ouvrages. Par exemple, Peter Marshall remarque que les « "anarcho-capitalistes" comme Rothbard supposent que les individus auront un pouvoir égal de marchander dans une société [capitaliste] fondée sur le marché[23]. Â» George Walford le remarqua également dans son commentaire du livre Vers une société sans État de David Friedman :

« La propriété privée envisagée par les anarcho-capitalistes sera très différente de celle que l'on connaît. C'est à peine aller trop loin que de dire que tant que l'une est mauvaise, l'autre sera meilleure. Dans une société anarcho-capitaliste, il n'y aura plus d'assurance nationale, plus de Sécurité Sociale, plus de service de soins nationaux, et pas même quelque chose qui ressemblerait aux Poors Laws[24] ; il n'y aura pas du tout de réseaux de sécurité publique. Ce sera une société rigoureusement compétitive : travaille, mendie ou meurt. Tout en lisant, on apprend que chaque individu devra acheter, personnellement, tous les biens et services qu'il désire, non seulement la nourriture, les vêtements et le logement, mais également l'éducation, la médecine, l'hygiène, la justice, la police, toutes les formes de sécurité et d'assurance, même la permission d'utiliser les rues (car elles seront aussi possédées par des agents privés), tout en lisant cela, une caractéristique curieuse émerge : tout le monde aura assez d'argent pour acheter toutes ces choses.
« Il n'y a pas d'accueil et traitement des urgences, d'hôpitaux ou d'hospices, mais il n'y a bien sûr personne pour mourir dans la rue. Il n'y a pas de système d'éducation public, mais il n'y a pas d'enfants non-éduqués, pas de service public de police, mais tout le monde peut louer les services d'une entreprise de sécurité efficace, pas de loi publique, mais tout le monde peut louer les services du système pénal privé. Il n'y a personne non plus pour être en capacité d'acheter plus que les autres ; aucun individu ou groupe ne possède de pouvoir économique sur les autres.
« Aucune explication n'est fournie. Les anarcho-capitalistes considèrent simplement comme allant de soi que dans leur société adorée, bien qu'elle ne possède aucun levier pour restreindre la concurrence (pour ce faire, il faudrait exercer une autorité sur les individus ou les groupes en concurrence, or c'est une société anarcho-capitaliste), la concurrence donc ne serait pas amener à atteindre le point où tout le monde en souffrirait réellement. Tout en proclamant que leur système est compétitif, dans lequel les règles de l'intérêt privé ne sont pas soumises à vérification, ils montrent que celui-ci fonctionne comme un système coopératif, dans lequel aucun individu ou groupe ne profite au dépend des autres[25]. Â»

Cette supposition d'une (relative) égalité s'impose dans la théorie de la propriété du « Homesteading Â» de Murray Rothbard (voir la section F.4.1). Le « Homesteading Â» décrit une situation où des individus ou des familles vont dans la nature pour s'y créer un abri, se battant contre les éléments, et ainsi de suite. Cette théorie n'invoque pas l'idée d'entreprises transnationales employant des dizaines de milliers de personnes, ou celle d'une population sans terre, sans ressource, et vendant sa force de travail aux autres. Rothbard, comme remarqué plus haut, affirme que le pouvoir économique n'existe pas (au moins en régime capitaliste, comme exposé dans la section F.1, il fait des exceptions — qui sont fortement illogiques). De la même manière, l'exemple de David Friedman de deux entreprises « de défense Â», l'une défendant la peine de mort, l'autre s'y opposant, parvenant à un accord (voir la section F.6.3), suppose implicitement que les entreprises aient des ressources et des pouvoirs permettant de marchander en toute égalité — autrement, le processus de marchandage serait biaisé et la petite entreprise y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une bataille contre la plus grosse (l'aboutissement probable si elles ne parviennent pas à un arrangement sur cette affaire), et donc en viendrait au compromis.

Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors un contrat créant des partenaires égaux est impossible — le pacte établira une association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à-dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim[26] Â». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation.

En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir Â» et le « marché Â» ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent finalement en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement Â» aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire Â» ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques[27].

Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs Â» et les « vendeurs Â» de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise — voir la section C.7). Nous avons insisté dans la section C.9 sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange Â» d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste J.K. Ingalls s'opposait à la proposition d'Henry George[28] de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait.

Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude — celles-ci sont toujours là, mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher un compromis bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter Â» de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force).

L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer Max Stirner, « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que les moyens de concourir, les choses nécessaires à la concurrence me font défaut. Â» Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir Â» ou de « choses nécessaires à la concurrence Â»), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut tirer de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.[29] Â» Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer Â» de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence Â», ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence « libre Â». Pour citer Stephan L. Newman :

« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travail salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à-dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive][30]. Â»

Si nous regardons « l'égalité devant la loi Â», il est évident que cela entraîne des limitations dans une société (matériellement) inégale. Brian Morris note que pour Ayn Rand, « en régime capitaliste [...] la politique (l'État) et l'économie (le capitalisme) sont séparés [...] Ceci n'est, bien sûr, que de la pure idéologie, car la justification de Rand de l'État est que ce dernier "protège" la propriété privée, c'est-à-dire qu'il la défend et qu'il maintient le pouvoir économique des capitalistes par des moyens coercitifs[31]. Â» La même chose peut être dite de l'"anarcho"-capitalisme et de ses « agences de protection Â» et de son « code de lois libertarien général Â». Si dans une société, un petit nombre détient les ressources et que la majorité n'a rien, alors n'importe quel code de lois qui protège la propriété privée donne automatiquement du pouvoir à la classe possédante. Les travailleurs useront toujours de la force s'ils se rebellent contre leur patron ou agissent contre ce code, et donc « l'égalité devant la loi Â» reflète et renforce les inégalités de pouvoir et de richesses. Ceci signifie qu'un système de droit à la propriété privée protège les libertés de certains, leur conférant un degré de pouvoir inacceptable sur les autres. Et cet essai critique ne peut être satisfait qu'en réaffirmant les droits en question, nous devons estimer l'importance relative des différentes formes de liberté ainsi que celle des autres valeurs qui nous sont chères.

Le peu d'estime qu'ont les libertariens pour l'égalité est important puisqu'il permet à l'"anarcho"-capitalisme d'ignorer plusieurs restrictions de la liberté dans la société. De plus, il leur permet d'écarter les effets négatifs de leur système en dessinant un tableau irréel d'une société capitaliste sans différences significatives de richesse et de pouvoir (en effet, ils décrivent souvent la société capitaliste en des termes idéaux — c'est-à-dire en la comparant à la production artisanale — qui est donc précapitaliste et dont la base sociale a été érodée par le développement du capitalisme). L'inégalité forme les décisions qui nous sont offertes et celles que nous prenons :

« Un "stimulant" est toujours disponible dans les conditions d'inégalité sociale substantielle qui garantissent que les "faibles" concluent un contrat. Lorsque l'inégalité sociale prédomine, des questions apparaissent, telles que qu'est-ce qui compte comme conclusion volontaire d'un contrat. C'est pourquoi les socialistes et les féministes se sont concentrés sur les conditions de conclusion du contrat de travail ou du contrat de mariage. Les hommes et les femmes [...] sont désormais des citoyens juridiquement libres et égaux, mais dans des conditions sociales inégales, la possibilité que certains ou que la plupart des contrats créent des relations ressemblant désagréablement à un contrat d'esclavage ne peut être évacuée[32]. Â»

Cette confusion idéologique du libertarianisme peut également être remarquée dans leur opposition à l'imposition. D'un côté, ils avancent que l'imposition est mauvaise car elle prend de l'argent à ceux qui en « gagnent Â» et le redonne aux pauvres. D'un autre côté, le capitalisme du « marché libre Â» est supposé constituer la base d'une société plus égale ! Si l'imposition prend aux riches pour donner aux pauvres, comment l'"anarcho"-capitalisme pourrait-il être plus égalitaire ? Ce mécanisme d'égalisation disparaîtrait (bien sûr, il pourrait être avancé que toutes les grosses fortunes ne sont que le résultat de l'intervention de l'État qui fausse le « marché libre Â», mais cela mettrait à mal toutes leurs histoires de « reproches aux riches Â»). Nous avons donc un problème : soit nous avons une égalité relative, soit nous n'en avons pas. Soit nous avons des riches, et donc le pouvoir du marché, soit nous n'en avons pas. Et il est évident que pour Rothbard, l'"anarcho"-capitalisme ne serait exister sans ses millionnaires (d'après lui, il n'y a rien de contradictoire avec le libertarianisme dans « la hiérarchie, le salariat, l'octroi de fonds par les millionnaires libertariens, et un parti libertarien[33] Â»). Nous en avons fini avec le pouvoir du marché et l'asservissement extensif.

Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature Â»[34], il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté Â» deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feraient qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres[35]. Â»


F.3.2 But what about "anarcho"-capitalist support for charity?

Yes, while being blind to impact of inequality in terms of economic and social power and influence, most right-libertarians do argue that the very poor could depend on charity in their system. But such a recognition of poverty does not reflect an awareness of the need for equality or the impact of inequality on the agreements we make. Quite the reverse in fact, as the existence of extensive inequality is assumed -- after all, in a society of relative equals, poverty would not exist, nor would charity be needed.

Ignoring the fact that their ideology hardly promotes a charitable perspective, we will raise four points. Firstly, charity will not be enough to countermand the existence and impact of vast inequalities of wealth (and so power). Secondly, it will be likely that charities will be concerned with "improving" the moral quality of the poor and so will divide them into the "deserving" (i.e. obedient) and "undeserving" (i.e. rebellious) poor. Charity will be forthcoming to the former, those who agree to busy-bodies sticking their noses into their lives. In this way charity could become another tool of economic and social power (see Oscar Wilde's The Soul of Man Under Socialism for more on charity). Thirdly, it is unlikely that charity will be able to replace all the social spending conducted by the state -- to do so would require a ten-fold increase in charitable donations (and given that most right-libertarians denounce the government for making them pay taxes to help the poor, it seems unlikely that they will turn round and increase the amount they give). And, lastly, charity is an implicate recognition that, under capitalism, no one has the right of life -- its a privilege you have to pay for. That in itself is enough to reject the charity option. And, of course, in a system designed to secure the life and liberty of each person, how can it be deemed acceptable to leave the life and protection of even one individual to the charitable whims of others? (Perhaps it will be argued that individual's have the right to life, but not a right to be a parasite. This ignores the fact some people cannot work -- babies and some handicapped people -- and that, in a functioning capitalist economy, many people cannot find work all the time. Is it this recognition of that babies cannot work that prompts many right-libertarians to turn them into property? Of course, rich folk who have never done a days work in their lives are never classed as parasites, even if they inherited all their money). All things considered, little wonder that Proudhon argued that:

"Even charitable institutions serve the ends of those in authority marvellously well.

"Charity is the strongest chain by which privilege and the Government, bound to protect them, holds down the lower classes. With charity, sweeter to the heart of men, more intelligible to the poor man than the abstruse laws of Political Economy, one may dispense with justice." [The General Idea of the Revolution, pp. 69-70]

As noted, the right-libertarian (passing) acknowledgement of poverty does not mean that they recognise the existence of market power. They never ask themselves how can someone be free if their social situation is such that they are drowning in a see of usury and have to sell their labour (and so liberty) to survive.

Notes et references

  1. ? Pour une Nouvelle Liberté, p. 47
  2. ? Égalitarisme comme une révolte contre la nature et autres essais, p. 4 et p. 5
  3. ? "Appendice : Les Principes de la novlangue", 1984, p. 246
  4. ? Qu'est-ce que l'anarchisme?, Pp. 164-5
  5. ? Le Contrat Social et discours, p. 49
  6. ? La logique de l'action II, p. 29 et p. 34
  7. ? Le Chomsky Reader, p. 190
  8. ? James K. Galbraith, Création inégalité, p. 263
  9. ? La logique de l'action II, pp. 394-5 et P. 200
  10. ? Anarchie, État et Utopie, pp. 160-3
  11. ? Kerhohan Andrew, "Le capitalisme et l'auto-propriétaire", pp. 60-76, le capitalisme, Ellen Frankel Paul, Fred D. Miler, Jr, Jeffrey John Paul et Ahrens (éd.), p. 71
  12. ? "Le libertarien Comme le conservateur", l'abolition de travail et autres essais, p. 145
  13. ? Op. Cit., P. 30
  14. ? Op. Cit., P. 147
  15. ? Op. Cit., P. 146
  16. ? Dieu et l'État, p. 33
  17. ? Stephen L. Newman, Libéralisme à Wit's End, p. 74 et p. 76
  18. ? Le Mythe de la Loi Naturelle, p. 36
  19. ? Op. Cit., P. 147
  20. ? Murray Rothbard, L'Éthique de la Liberté, Chapitre XXVIII.
  21. ? Élisée Reclus, L'Homme et la Terre.
  22. ? Cité par John P. Clark et Camille Martin, Anarchy, Geography, Modernity, p. 95 et p. 96-97.
  23. ? Peter Marshall, Demanding the Impossible, p. 46.
  24. ? Note du Traducteur : Lois crées par la couronne britannique afin d'exercer un contrôle et d'avoir des informations sur les pauvres, en leur fournissant une aide financière. L'auteur ne fait ici référence qu'aux aides financières, pas au contrôle.
  25. ? George Walfort, On the Capitalist Anarchists.
  26. ? Carole Pateman, The Sexual Contract, p. 61.
  27. ? Murray Bookchin, The Spanish Anarchists, p. 260.
  28. ? NdT : économiste politique américain, partisan le plus influent de l'impôt unique sur la terre. Il défend une théorie selon laquelle chacun possède ce qu'il fabrique, mais que tout ce qui se trouve dans la nature appartient à tous. Très critique vis-à-vis du profit et de la concentration des richesses entre les mains d'une poignée d'individus.
  29. ? Max Stirner, L'Unique et sa propriété, sections intitulées Mes relations [deuxième partie] et Le Libéralisme politique [première partie], traduit par Robert L. Leclaire. Nous soulignons.
  30. ? Stephan L. Newman, Liberalism at Wit's End, p. 122-123.
  31. ? Brian Morris, Ecology & Anarchism, p. 189.
  32. ? Carole Pateman, Op. Cit., p. 62.
  33. ? Black, The Abolition of Work and Other Essays, The Libertarian As Conservative, p. 142.
  34. ? NdT : référence au titre d'un des ouvrages de Rothbard, Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays, où Rothbard attaque l'idée d'égalité comme fondement politique et économique. Les "anarcho"-capitalistes font constamment référence à ce texte pour critiquer l'égalité.
  35. ? Peter Marshall, Op. Cit., p. 653.
Récupérée de « http://fra.anarchopedia.org/FAQAnar:F.3_-_Pourquoi_les_%22anarcho%22-capitalistes_n%27attribuent-ils_g%C3%A9n%C3%A9ralement_peu_ou_pas_de_valeur_%C3%A0_l%27%22%C3%A9galit%C3%A9%22_%3F »

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